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26/05/2021 | FRANCE | N°2021-908

France | France, Conseil constitutionnel, 26 mai 2021, 2021-908


LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 26 février 2021 par le Conseil d'État (décision n° 443476 du 24 février 2021), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société KF3 Plus par la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2021-908 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des premier

et quatrième alinéas du paragraphe I de l'article 1737 du code général des...

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 26 février 2021 par le Conseil d'État (décision n° 443476 du 24 février 2021), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société KF3 Plus par la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2021-908 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des premier et quatrième alinéas du paragraphe I de l'article 1737 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du régime des pénalités.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du régime des pénalités, ratifiée par l'article 138 de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante par la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, enregistrées le 22 mars 2021 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations présentées pour la société requérante par la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, enregistrées le 6 avril 2021 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Claire Rameix-Seguin, avocate au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la société requérante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 11 mai 2021 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Les premier et quatrième alinéas du paragraphe I de l'article 1737 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 7 décembre 2005 mentionnée ci-dessus, prévoient :« Entraîne l'application d'une amende égale à 50 % du montant :
« 3. De la transaction, le fait de ne pas délivrer une facture. Le client est solidairement tenu au paiement de cette amende. Toutefois, lorsque le fournisseur apporte, dans les trente jours de la mise en demeure adressée par l'administration fiscale, la preuve que l'opération a été régulièrement comptabilisée, il encourt une amende réduite à 5 % du montant de la transaction ».

2. La société requérante soutient que ces dispositions méconnaîtraient le principe de proportionnalité des peines. Au soutien de ce grief, elle fait valoir que celles-ci prévoient une amende fiscale égale à 50 % du montant de la transaction qui n'a pas fait l'objet d'une facture, ou à 5 % lorsque la transaction a toutefois été régulièrement comptabilisée, encourue même dans l'hypothèse où les sommes afférentes à la transaction n'ont pas été soustraites frauduleusement à la taxe sur la valeur ajoutée. En outre, ces taux ne pouvant être modulés en fonction des faits reprochés au fournisseur, le montant de l'amende pourrait être manifestement disproportionné au regard du montant de taxe dû. Elle souligne également que, dans le cas de l'application du taux de 5 %, l'absence de facture ne fait pas obstacle au contrôle par l'administration fiscale de l'assiette imposable à la taxe sur la valeur ajoutée.
3. La société requérante reproche aussi à cette amende de sanctionner les mêmes faits que ceux réprimés par les articles 1729 et 1786 du code général des impôts. Il en résulterait selon elle une méconnaissance du principe non bis in idem.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le quatrième alinéa du paragraphe I de l'article 1737 du code général des impôts.
- Sur le fond :
5. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Les principes énoncés par cet article s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition. Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue.
6. Les dispositions contestées sanctionnent d'une amende fiscale de 50 % du montant de la transaction le fait pour un fournisseur redevable de la taxe sur la valeur ajoutée de ne pas délivrer une facture. Si celui-ci apporte, dans les trente jours de la mise en demeure adressée par l'administration fiscale, la preuve que l'opération a toutefois été régulièrement comptabilisée, l'amende encourue est réduite à 5 % du montant de la transaction.
7. En sanctionnant d'une amende fiscale les manquements aux règles de facturation, le législateur a entendu réprimer des comportements visant à faire obstacle, d'une part, au contrôle des comptabilités tant du vendeur que de l'acquéreur d'un produit ou d'une prestation de service et, d'autre part, au recouvrement des prélèvements auxquels ils sont assujettis. Ce faisant, il a poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale.
8. En premier lieu, d'une part, en l'absence de délivrance d'une facture, le législateur a prévu l'application d'une amende dont le montant n'est pas plafonné et dont le taux, qui s'élève à 50 % du montant de la transaction, est fixe. D'autre part, cette amende reste due, alors même que la transaction a été régulièrement comptabilisée, si le fournisseur n'apporte pas la preuve de cette comptabilisation dans les trente jours suivant la mise en demeure de l'administration fiscale.
9. En second lieu, le législateur a prévu l'application d'une amende réduite dont le montant n'est pas non plus plafonné et dont le taux de 5 % est fixe, quand bien même le fournisseur justifierait d'une comptabilisation régulière de la transaction permettant à l'administration d'effectuer des contrôles.
10. Par conséquent, les dispositions contestées peuvent donner lieu à une sanction manifestement disproportionnée au regard de la gravité du manquement constaté, comme de l'avantage qui a pu en être retiré.
11. Il résulte de ce qui précède que, si elles poursuivent l'objectif de répression des manquements aux règles relatives à l'établissement des factures, les dispositions contestées méconnaissent le principe de proportionnalité des peines. Par conséquent, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs, elles doivent être déclarées contraires à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
12. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration. Ces mêmes dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s'opposer à l'engagement de la responsabilité de l'État du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d'en déterminer les conditions ou limites particulières.
13. En l'espèce, l'abrogation immédiate des dispositions contestées entraînerait des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 31 décembre 2021 la date de l'abrogation des dispositions contestées. Les mesures prises avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Le quatrième alinéa du paragraphe I de l'article 1737 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du régime des pénalités, est contraire à la Constitution.

Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 13 de cette décision.

Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 25 mai 2021, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mme Dominique LOTTIN, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.

Rendu public le 26 mai 2021.


Synthèse
Numéro de décision : 2021-908
Date de la décision : 26/05/2021
Société KF3 Plus [Pénalités pour défaut de délivrance d'une facture]
Sens de l'arrêt : Non conformité totale - effet différé
Type d'affaire : Question prioritaire de constitutionnalité

Références :

QPC du 26 mai 2021 sur le site internet du Conseil constitutionnel
QPC du 26 mai 2021 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Disposition législative (type)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°2021-908 QPC du 26 mai 2021
Origine de la décision
Date de l'import : 19/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:2021:2021.908.QPC
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